Pourtant, ce dernier ne reçut aucun accueil dans la presse écrite lors de sa sortie en 2008. Honte aux critiques professionnels de n’avoir su déceler le livre d’un grand écrivain, publié de surcroît chez un éditeur de qualité, Actes Sud, dont la renommée est depuis longtemps acquise!
Car la beauté de la langue frappe dès les premières lignes et, quels que soient les points de vue narratifs adoptés ou le degré d’intégration des dialogues dans le récit, il existe bien «un style Ferrari», un style fait de fluidité qui se joue de la longueur des phrases grâce à une ponctuation totalement maîtrisée et sait glisser d’un temps à l’autre, d’un lieu ou d’un personnage à l’autre, de manière subtile, indépendamment de la fragmentation ou non du récit. Une écriture sensorielle qui donne non seulement à voir, mais à entendre, à sentir et à ressentir, à saisir par le coeur, illustration de la puissance métaphorique de la littérature
A cela s’ajoute le regard respectueux et «empathique» porté sur tous les personnages par l’auteur. Le livre s’ouvre sur une scène émouvante qui se déroule dans un bar. Marie-Angèle Susini, la propriétaire de ce lieu fréquenté par tous les protagonistes de l’histoire, vient d’arracher sa fille Virginie au cadavre sanglant de son amour de jeunesse, Stéphane Campana, nationaliste abattu en plein jour sur la place du village.
Et le récit se fragmente en trois fils distincts : deux fils parallèles se déroulant en sens inverse, celui d’un professeur d’ethnologie schizophrène, nostalgique de son passé, qui s’enfonce au plus profond de la mémoire pour tenter de redonner unité à son chaos intérieur au risque d’être absorbé par l’infini qu’il côtoie, et le fil «pédagogique» d’un narrateur extérieur remontant le temps pour expliquer la genèse de ce violent fait divers à travers le rêve de jeune fille de Virginie et les dérives du nationalisme corse. S’intercalant entre ces deux voix, le fil léger d’Hayet, jeune marocaine ayant suivi son frère en Corse, épouse la chronologie de leur aventure comme une succession de courts moments de vie, simples mais intenses, venant croiser les deux autres récits comme de fulgurantes réminiscences.
Le roman s’articule autour de la thématique de l’identité dans son rapport à l’altérité et à la mémoire et est constamment imprégné d’une méditation mystique. Il commence et se termine par la fin de l’histoire, réconciliant la durée et l’instant dans une construction éclatée mais harmonieuse donnant unité à la multiplicité, confirmant ainsi le talent de Jérôme Ferrari pour adapter la forme au contenu.
Balco Atlantico, c’est le nom que l’on donne, à Larache, près de Tanger, à la corniche qui surplombe l’océan, promenade ou Khaled et sa jeune soeur Hayet aimaient à contempler la magnifiscence des couchers de soleil. Un titre à la fois étrange et familier qui résonne comme le symbole de toutes ces villes portuaires du Maghreb, de toutes ces îles aux rives offertes, cernées d’horizons lointains. Odeur de soleil et fraîcheur poisseuse des embruns et, surtout, cette luminosité particulière née de la rencontre du ciel et de la mer. C’est aussi l’appel mystérieux des vagues, le «désir d’Amérique», désir d’ailleurs ou d’autre chose, désir de conquête de nouveaux territoires. Mais une fois franchi l’océan, il n’y a plus d’outre-mer, il n’y a plus d’ «échappatoire», «la mer est derrière vous», la trace demeure mais le sillage s’est effacé : «la mer est redevenue souple et profonde afin que nul ne puisse y faire demi-tour».
Sonia