Voici le florilège de nos poèmes choisis
en l’honneur du Printemps des Poètes
sur le thème de l’année 2016 : « Le grand XXème »
L’escalier descendait
jusqu’au fond du poème
où dansaient les mots nouveaux
en robes d’italique et d’elzévirs
Dans une cour
abandonnée par l’histoire
un très vieil arc-en-ciel
distribuait des couleurs
aux derniers oiseaux de la terre
C’est en ramassant
une couleur sur la route
que l’ombre
se brûla les doigts
François Dodat (1908-1996)
°°°°°
°°°°°
Que garderez-vous de l’oiseau,
Du nom de l’oiseau et de l’arbre aux oiseaux ?
Que garderez-vous des choses
Et des choses simples qui passent ?
Mots
Qui passez comme l’oiseau passe,
Mots
Qui ne peuvent être saisis
Et me saisissent,
Que garderez-vous encore de son nom ?
Yves Namur
Ce que j’ai peut-être fait
°°°°°
Flaque de lumière,
Flaque d’eau,
Au sein de l’éternelle rotation des astres,
Cette brève flamme chasse la lente grisaille
D’un après-midi.
Flaque de lumière,
Flaque d’eau,
Attirant quelques moineaux : leurs gazouillis
Rappellent un instant le bonheur terrestre :
La soif étanchée.
__________________________
Parfois, ce qui murmure en nous
Devient audible. Nous entendons
Alors tant et tant d’autres murmures
Chez les vivants et les morts, depuis
La nuit des temps, disant un secret
Lancinant jamais éclairci, basse
Continue de la Voie qui seule sait.
__________________________
C’est le jour du printemps,
Tu longes seul le jardin :
De l’autre côté du mur,
Une branche qui dépasse
Chargée de fleurs jaune or
Dont tu ignores le nom…
C’est l’heure pour toi
D’abandonner
La peur, le doute
De passer outre.
__________________________
Toi l’absente,
Tu le sais,
Désormais,
Nous serons au monde
Par ta présence.
Par ton regard,
Par ton sourire ,
Par ta voix qui dit
Tout le chagrin, toute la joie
De l’impensée vie terrestre.
Tous les rêves inaccomplis,
Tous les désirs inachevés,
Âme douloureuse ayant percé
L’infini, âme transparente
Qui désormais les irradie.
Toi la présente,
Tu nous conduis au centre
Du Double-Royaume,
Par-delà
Toute absence.
François Cheng
La vraie gloire est ici
°°°°°
Entends le rire de demain?
Il est puissant. Il est, confiant,
Dans l’amas des jours, la réserve.
Passe un soleil comme un paysan
Jetant son or comme semences.
S’en vient la pluie comme la herse
Ou le froid comme un grand seigneur.
J’ai fait le pacte avec les hommes.
Ainsi, je remplis le cellier,
Avec la branche morte fais la flamme
Et, de la cuve et dans le cœur,
De la vendange de l’hiver
Monte l’ivresse des soleils.
Jean Malrieu
(1915-1976)
°°°°°
Confiance au futur
Poètes de demain
mes amis pour l’amour
ne craignez pas les inventions
ni les machines à rebours
qui font la mort au goût du jour.
Il y aura toujours des îles
et des mers au fond du ciel.
Les cris de joie des éléments
l’âme enchantée d’être animale
auront encore leurs paradis
et leurs vallées et leurs midis.
Et mes poèmes d’aujourd’hui
auront la chance de chanter
de l’autre côté du silence
sur le versant des nouveaux bruits.
Pierre Boujut
(1913-1992)
°°°°°
DE KENNETH WHITE
POÈTE ÉCOSSAIS ET POÈTE FRANÇAIS
La sorte de livre qui me plaît le plus est le carnet de notes. Tout ce que j’écris à présent prend cette forme qui est absence de forme. Je ne puis pas respirer dans le langage s’il n’y a pas de ruptures et d’espaces…
… Quelque chose qui n’a ni commencement, ni milieu, ni fin (c’est ainsi que j’aime à voir la vie) et qui, ne partant d’aucunes prémisses, n’atteindra aucune conclusion. Tout ce que j’offre est un peu de spontanéité, un peu de présence…
… Présence de quoi ? de moi-même, je suppose, et de tout ce qui est impliqué en moi, qui peut être l’Écosse, mais qui peut remonter beaucoup plus loin et être beaucoup plus étendu que l’Écosse. Je ne suis pas prêt à le définir ; j’en suis toujours au stade de l’’exploration. Je doute de jamais le définir ; de vraiment vouloir le définir.
Je ne parle jamais que de présence au monde.
En toute candeur /1980
____________________________
PORT DE GLASGOW
Épais brouillard sur les docks
épais comme le silence
un seul nom de bateau
éclairé d’une lumière verte
Suranaa, Kristiansand
PORT OF GLASGOW
Thick fog over the docks
And as thick a silence
Only one name of a ship
Lit by green light
Suranaa, Kristiansand
____________________________
DANS LE TRAIN, UN MATIN D’HIVER
Entre Béziers et Narbonne
vignes sous le givre
et un gros soleil rouge
qui court, ivre , sur l’horizon
WINTER MORNING TRAIN
Between Béziers et Narbonne
vineyards under frost
and a big red sun
running mad on the horizon
Terre de diamant, poèmes, 1985
°°°°°
A l’enterrement d’une feuille morte
A l’enterrement d’une feuille morte
Deux escargots s’en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s’en vont dans le soir
Un très beau soir d’automne
Hélas quand ils arrivent
C’est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le cœur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L’autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C’est moi qui vous le dit
Ça noircit le blanc de l’œil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C’est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vraie chanson vivante
La chanson de l’été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C’est un très joli soir
Un joli soir d’été
Et les deux escargots
S’en retournent chez eux
Ils s’en vont très émus
Ils s’en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais là-haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
Jacques Prévert
°°°°°
Savoir
Le poème nage dans un vent et brille.
Il ignore qui il est jusqu’à
ce qu’on l’entraîne ici, où
certainement il mourra
à l’intempérie des fauves.
J’aimerais comprendre les fauves
pour comprendre le fauve qui est en moi.
La réalité fait gémir avec des halètements de bête.
Quelle grâce son souffle y a-t-il gagnée ?
Aucune si ce n’est la perte.
Sous la douceur crépite le doute.
Dans ces mains.
Juan Gelman (1930-2014)
poète argentin, militant contre la dictature
°°°°°
Quartier libre
J’ai mis mon képi dans la cage
et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête
Alors
on ne salue plus
a demandé le commandant
Non
on ne salue plus
a répondu l’oiseau
ah bon
excusez-moi je croyais qu’on saluait
a dit le commandant
Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper
a dit l’oiseau.
Jacques Prévert
°°°°°
L’Homme ouvert
Cet homme portait son enfance
sur son visage comme un bestiaire
il aimait ses amis
l’ortie et le lierre l’aimaient
Cet homme avait la vérité
enfoncée dans ses deux mains jointes
et il saignait
À la mère qui voulut enlever son couteau
à la fille qui voulut laver sa plaie
il dit « n’empêchez pas mon soleil de marcher »
Cet homme était juste comme une main ouverte
on se précipita sur lui
pour le guérir pour le fermer
alors il s’ouvrit davantage
il fit entrer la terre en lui
Comme on l’empêchait de vivre
il se fit poème et se tut
Comme on voulait le dessiner
il se fit arbre et se tut
Comme on arrachait ses branches
il se fit houille et se tut
Comme on creusait dans ses veines
il se fit flamme et se tut
Alors ses cendres dans la ville
portèrent son défi
Cet homme était grand comme une main ouverte.
Jean Sénac
Paris, 21 avril 1952
°°°°°
Il se dessine une veine rose dans l’air
et peu à peu plusieurs, comme sous la peau
d’une main jeune qui salue ou dit adieu.
Il s’insinue une douceur dans la lumière
comme pour aider à traverser la nuit.
Autant de plumes, tourterelle pour tes ailes,
autant de rumeurs tendres à tes lèvres, inconnue.
Philippe Jaccottet
°°°°°
La nuit
Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit
A pas de vent de loup de fougère et de menthe
Voleuse de parfum impure fausse nuit
Fille aux cheveux d’écume issus de l’eau dormante
Après l’aube la nuit tisseuse de chansons
S’endort d’un songe lourd d’astres et de méduses
Et les jambes mêlées au fuseau des saisons
Veille sur le repos des étoiles confuses
Sa main laisse glisser les constellations
Le sable fabuleux des mondes solitaires
La poussière de Dieu et de sa création
La semence de feu qui féconde les terres
Mais elle vient la nuit de plus loin que la nuit
A pas de vent de mer de feu de loup de piège
Bergère sans troupeau glaneuse sans épis
Aveugle aux lèvres d’or qui marche sur la neige
Claude Roy