Autre texte sur les arbres des « 21 »
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L’instant,
L’instant précis, précieux, de la chute de la première feuille de l’arbre.
Première fugue !
Premier mouvement !
Celui qui donne le LA à toute la symphonie d’automne.
Rien n’avait encore bougé.
L’air était immobile,
Le bleu du ciel immensément bleu,
Le soleil dans sa lumineuse splendeur tremblait dans les branches, un vrai soleil d’été, juste un peu moins violent, plus envoutant, jaune d’or, couleur de la première feuille.
Elle s’envole,
Elle tremble,
Elle danse,
Elle volette doucement de-ci de-là, pas très sûre de sa chute, un peu à l’étourdi, flâneuse et indécise.
Elle tombe sans conviction mais avec certitude, lentement, doucement, inexorablement.
A l’insu de tous, ou presque…
La première feuille du grand détricotage de l’arbre, de la grande mutation des saisons !
Première envol,
Première larme,
Unique et dernier baiser à la terre qui l’a nourri, douce et chaude
A l’insu de tous,
A l’insu du monde,
Le privilège rare de l’instant capté dans la lumière, d’un regard.
Chut ! elle a chu, délicatement, sans crier gare, obéissante à la fuite du temps qui va l’emporter.
Rien n’a bougé, rien n’a changé dans le grand tohubohu de la Terre.
Pas de cri, pas de bruit pour le premier mouvement du grand renoncement à venir.
Un grand dépouillement s’annonce, elle seule sait déjà.
Les autres feuilles, compagnes des beaux jours passés, moins hardies, vertes encore de leur prime jeunesse rient, insouciantes, de cet intrépide saut dans l’inconnu.
O ! la magnifique beauté, pure et insolente de la première feuille qui ose la nouvelle grande aventure du cycle de la vie !
Témoin silencieux du minuscule mouvement qui sans répit, nous porte et nous emporte, as-tu perçu cet infini douceur accablante et splendide, irrémédiable ?
L’instant bref, décisif, fatal qui te coupe de ta matrice nourricière et te projette dans un autre avenir où seul tu dois survivre ou te réinventer !
Anne Marie Bes.
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21 août 2021 La cabane
Elle n’est plus notre vieille cabane, tout au bout d’une des faïsses du jardin de Rose, ce souvenir encore là du passé et des enfants que nous étions alors. Notre petite bande l’avait investie grâce à la mère de Rose, qui, soulagée de voir enfin sa fille unique toujours si seule ramener des camarades d’école chez elle, nous avait autorisés à l’occuper. C’était notre royaume, cette pauvre remise délabrée aux planches rugueuses mal ajustées qui laissait filtrer une lumière rayée où dansait la poussière de son. Mais ce n’était pas pour Rose, si effacée et sans grâce, que l’on venait après l’école mais pour elle, notre hutte de mohican, notre cabane de trappeur, notre palais de la reine des neiges, notre bateau de Moby Dick, notre monde volant. Après la classe, on s’y réunissait à quelques-uns du village pour manger nos tartines et partager, un peu coupables, les bonbons achetés en cachette en chipant de la menue monnaie dans le porte-monnaie de nos mères ou chapardés à la boulangerie. Assis sur l’antique banc boiteux qui occupait le mur du fond et les quelques vieilles malles où l’on cachait nos trouvailles et nos secrets, on s’inventait des vies fabuleuses, en chevauchant notre banc immobile. Et parfois s’invitait dans nos jeux l’apprentissage maladroit et troublant du « fruit défendu » C’était toujours Françoise, la plus délurée d’entre nous, qui nous lançait crânement le défi en relevant tablier et jupe et entrouvrait sa petite culotte de coton blanc pour dévoiler, en riant, un petit bout de chair rose. Nous les filles, pour masquer notre gêne, nous gloussions sottement et rechignions à l’imiter. Quant aux garçons, troublés et presque effrayés, ils osaient à peine regarder et baisser leur pantalon. Quelques rapides baisers s’échangeaient parfois, à la sauvette. L’intérêt pour ces territoires interdits s’épuisait vite et nous préférions cajoler les petits animaux qui trouvaient refuge dans notre cabane. Les petits poussins égarés et chétifs que nous vîmes éclore dans la paille d’une caisse et que leur belliqueuse de mère défendait de notre affection envahissante en piquant nos mains baladeuses de son bec outré. Ce furent ces oisillons tombés du nid que nous ramenions dans nos poches pour les sauver d’une mort assurée mais qui, nourris de mie de pain trempée de lait, dépérissaient hélas toujours trop vite et ne manquaient jamais de mourir, tués par le régime lacté totalement inadapté que nous leur administrions, nous l’apprîmes plus tard. Mais nos protégés chéris furent les chatons que nous découvrîmes un soir au fond d’une des vieilles malles, au milieu de vieux chiffons. Leur mère, venait de mettre bas et s’affairait autour d’eux d’un air important. La grande affaire fut d’amadouer la chatte pour qu’elle nous laisse jouer avec ses petits. Rose fut chargée de rapporter tout ce qui pourrait la séduire : un petit suisse entamé, des restes de viande, un fond de lait. Tout en nous surveillant de ses beaux yeux verts mordorés, peu à peu, la mère nous permis de câliner ses chatons et de jouer avec eux. Chacun avait son préféré. Le mien, une soyeuse boule blanche à l’œil tâché de noir, câlin et fragile, que j’avais appelé Plume tant il ne pesait rien dans ma main ou sur mon tablier où parfois, à ma grande joie, il s’abandonnait à de courts sommes en ronronnant. L’amour que nous avions pour ces frêles créatures nous grandissait. Et quand un jour ils disparurent, nous nous sentîmes injustement abandonnés. En vain nous les cherchâmes. Ils avaient quitté notre petit monde et nous avaient laissés orphelins d’un amour inassouvi.
J’ai aimé notre cabane, l’on y cachait ses timidités et ses fous rires, ses trouvailles et ses hardiesses, ses songeries et ses effrois. Un jour elle disparut elle aussi, emportant dans ce glissement de terrain des éclats de rire et des fragments d’un temps enfant. Elle fut un lieu de notre mémoire à nous, ces petits écoliers d’autrefois.
Jehanne
21 septembre Les feuilles
Sous la nuit froide comme une lune
Personne au pied de l’arbre dépouillé
Sa vie s’en va en mille folioles
Désertées, asséchées,
Pleurent les feuilles chagrines
Ecrites de l’encre brune du sang épuisé
S’enroulent les tiges tordues
Où s’écoule l’eau tiède des larmes
Ma vie s’en va en pages arrachées, rassasiées, rapiécées
Tombées là, presque à mes pieds, mes certitudes
Couleurs de mes colères et mes emportements
Emportées au fil du vent ravageur les mots
Qui ruminent le désespoir et malaxent l’amertume
En petits tas de blessures têtues et souffrantes
Assoiffée la sève et ternis les feuillets rendus au passé
Je suis seule, au pied de l’arbre
Nul n’écoute mes peines
Dispersées au vent d’automne,
Vaines plaintes oublieuses de l’été à venir.
Jehanne
Des textes de Michelle
Déracinée
Comme les avalanches qui n’arrivent pas toutes en même temps, par plaques successives, inattendues, se détachant du roc en balayant tout sur leur passage, cela n’est pas venu subitement. Périodes difficiles, crises, accalmies, déséquilibre, je perdais mes repères…
Un matin, regardant le ciel, j’ai pensé, un instant, que dans tes moments de doute, tu cherchais la couleur ou la saveur verte d’un rien de feuille, de fleur, « laisser parler le paysage » disais-tu ; en quelques minutes nous étions dehors, marches longues, difficiles, mes jambes flageolaient, je me souviens, nous courions vers l’ombre des arbres centenaires … J’ai crié des mots, ballons lâchés, un rite pour atteindre l’écho…
Mais le ciel aujourd’hui est muet, et tu n’es plus là. Pourtant je m’accroche, souffle court, j’arrive enfin dans la forêt.
« Cela s’élève d’abord, puis, plane là-haut », jaillissement, l’arbre multiple s’impose. Je l’ai enlacé, corps collé, contre, tout contre, la vie est là ; attendre une réponse, car le monde végétal demande de la patience, sait-on ce que c’est aujourd’hui ? la patience ? notre monde a oublié l’homme qui a poli la pierre… Au-dessus, dans le circuit des branches petites et grandes, le décor du feuillage qui tremble, le chant du vent, « le souffle devint signe ».
Je me sens bien, si bien, petit à petit « l’arbre parle », un langage d’apaisement, et surtout la sensation que les racines, les siennes et les miennes, sont une force, une chaleur, un moteur…
Tard, je rentre chez moi, le ciel est rouge, je me sens prête pour demain, à nouveau enracinée.
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Du temps où nous étions princesses en visite
Dresseurs de scarabées, voleurs de pommes vertes,
Il était dans la cour du jardin des vacances,
Où, une balançoire accrochée à ses bras
Nous transportait très haut dans le ciel de juillet..
Aujourd’hui je le cherche, besoin de me poser,
Lourde, posant chaque pas comme un arrachement,
Je rêve d’un espace pour me fixer au sol,
M’incruster et sentir presqu’amoureusement
Que j’agrippe la terre, m’y enroule, la retient ;
Enfoncer mes racines sous la lune qui rit
Debout, le froid, le chaud me pénétrant,
Etendre bras et mains, et me sentir grandir !
Ecarteler le ciel et m’y envelopper,
Et goûter autrement la caresse du vent ;
Stopper le tourbillon, aller à l’essentiel…
Une colonne pousse, impérativement Des pointes vertes naissent, ma peau craque soudain,
Un oiseau s’est posé sur mon front ? une erreur ?
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« Pas de deux »
Les arbres nous parlent, c’est évident, le problème est que souvent nous ne savons plus les entendre, trop de bruits nous ont rendus sourds devant la nature, et quelquefois aveugles.
Depuis mon installation ici, devant cette large fenêtre où je passe mes jours, face à l’acacia centenaire du jardin, je reste fascinée du spectacle que j’y vois… Au sol, ceinturant le tronc, de multiples palmes, comme des mains dressées ; multitudes des verts, tronc griffé, plaies anciennes et profondes, mais tout là-haut, dentelle des feuilles, le scintillement quand le soleil joue, la jeunesse de cette couronne de cent années…silence…
Au fond de la cour, un mûrier platane, vieux, très vieux, couleurs sombres, verts, bruns, du doré parfois, et des taches de ciel quand il peut s’infiltrer… du tronc puissant, sort verticalement une branche robuste, plus haut, elle s’appuie contre une courte jambe sortant horizontale puis part longuement vers la droite et va se perdre dans les feuillages denses.
Tout contre, du même tronc, une autre branche verticale derrière, s’appuie, s’enroule, et dans une grâce extrême, va aussi se perdre là-haut dans des feuilles multiples… Jambes contre jambes, grâce d’une envolée, le « pas de deux « est là. Chaque jour, mes yeux le font renaitre….